Les institutions et les jeunes : l'armée devant l'Ecole.

Publié le par Patrice HUIBAN

 

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Dans une récente étude IRSEM/CEVIPOF, l’armée est, pour 85% des jeunes français, l’institution en laquelle ils ont le plus confiance, devant l’Ecole et très loin devant les partis politiques crédités de 13%. Par ailleurs, 4 jeunes sur 10 sont prêts à s’engager dans l’armée. Ils le feraient d’abord pour le service du pays, plutôt que pour l’obtention d’un emploi stable. Lors d’un précédent sondage en 1998, c’était l’inverse.

 

Ce sondage pourrait paraître surprenant dans une société libérale (au sens politique) et hédoniste comme la nôtre. En effet, l’armée incarne l’ordre, l’autorité, la hiérarchie alors que les partis politiques représentent théoriquement la liberté, la participation citoyenne et concourent, comme le dit la Constitution, à l’exercice de la démocratie.

 

Pourtant, ce sondage n’a rien de surprenant. Il est même tout à fait logique.

En effet, dans un pays en proie à une crise économique dans la durée et au doute quant à son avenir, il est naturel que les armées apparaissent comme un repère identitaire et le dernier rempart à la sauvegarde de notre modèle de civilisation qu’elle promeut et défend au quatre coins de la planète. Ceci est dans la droite ligne du retour de la nation comme seul cadre crédible d’épanouissement de la démocratie et de protection des citoyens. Nos hommes politiques semblent l’avoir compris après avoir majoritairement tenté de ringardiser les valeurs nationales, coupables d’être un frein à la construction d’une Europe politique, voire à l’émergence de « citoyens du monde ». Même Jean-Luc Mélenchon affiche nos trois couleurs et va jusqu’à employer le terme de patrie, tabou il y a encore peu, même à droite. Des années 80 aux années 2000, ils ont cependant créé un vide comblé par un essor des infra-identités, notamment spirituelles. Comment peut-on se plaindre aujourd’hui du retour du religieux prophétisé par Malraux alors que notre laïcité est adossée à un catéchisme républicain qui n’est plus guère professé aujourd’hui dans un système éducatif davantage anational que national ? Tout peuple a besoin d’espérance et de valeurs transcendantes. Cela passe par la foi dans une religion d’Etat ou… dans un Etat.

 

En dehors de déclarations, cette confiance des jeunes dans leurs armées s’illustre également par la capacité de ces dernières à honorer quantitativement et qualitativement leurs besoins colossaux en recrutement. Elles sont les seules dans ce cas en Occident. En effet, elles doivent (Gendarmerie incluse) renouveler 30 000 postes/an. Si elles veulent maintenir un taux de sélection moyen de 3/1 (8 candidats pour un poste d’officier, 4 candidats pour un poste de sous-officier et 2 pour un poste d’engagé), elles doivent faire franchir les portes de leurs centres de recrutement à près de 100 000 jeunes par an, soit 1/8 d’une classe d’âge ! Si on prend en compte le fait que ces métiers spécifiques attirent majoritairement les garçons, nous obtenons 1/4 -1/5 d’une classe d’âge masculine qui contacte un centre de recrutement ! Contrairement à toute attente, les pertes en Afghanistan, notamment en août 2008, n’ont pas tari le flot de candidats mais l’a augmenté. Seul changement : ces mêmes candidats sont plus souvent accompagnés par leurs parents…Qui a dit que notre jeunesse était totalement hédoniste et individualiste ? Elle est en fait en quête de sens ! Elle souhaite s’incarner dans un projet collectif que notre école républicaine et nos élites peinent à (re)définir.

Le seul bémol au niveau du recrutement est le relatif peu de prestige de la carrière militaire chez les classes socioprofessionnelles élevées. Tout se passe comme si l’antimilitarisme populaire avait disparu alors qu’une certaine condescendance des « élites » s’était développée chez des générations qui n’ont pas connu les conflits de masse du XXe siècle. Pourtant, dans l’Histoire, les plus grands dirigeants occidentaux ont bénéficié d’une solide expérience militaire (Washington, Churchill, de Gaulle, Eisenhower,…).

Sur cet aspect, il est d’ailleurs paradoxal que l’Ecole polytechnique, dont les ¾ des élèves rejoignent le secteur privé, ait gardé un service national de 8 mois transformé en stage de formation humaine visant à provoquer chez ces futurs décideurs « une triple rupture géographique, sociologique et intellectuelle avec l'univers des classes préparatoires ou de l'université ». A quant un service national au programme de l’ENA ? Apprendre la rusticité, l’humilité au milieu d’une troupe à l’image de notre diversité sociologique actuelle ne serait pas totalement dénué de sens pour qui prétend, à terme, promouvoir l’intérêt général, voire conduire la nation. Il s’agit de développer non une élite de statut mais de susciter une élite « comportementale », c’est-à-dire une élite de l’action et de l’engagement.

 

Pour autant, les militaires, si prompts à défendre la patrie et les intérêts de la nation, peuvent-ils participer à la refondation de notre démocratie ?  Ils ont certes les qualités morales requises, mais sont cantonnés au rôle (frustrant) de spectateurs de part leur devoir de réserve leur interdisant même d’adhérer à un mouvement politique. C’est pourquoi il faut espérer que nombre d’entre eux, quittant le service actif, irrigueront les sphères politiques et économiques comme chez nos amis anglo-saxons. Pour autant, il est vrai que le réflexe collectif et intérêt général du cadre militaire le prépare peu à gravir les échelons des partis politiques, tant il faut faire preuve de la plus individualiste des ambitions pour y progresser. Sans le séisme de 1940, soyez sûr que le général de Gaulle n’aurait jamais pu percer et faire une grande carrière politique…

 

Patrice HUIBAN.

 

 

Publié dans Réflexions

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