L'enseignement supérieur

Publié le par Patrice HUIBAN

La Tribune.fr, le 25-03-08

Chronique Economie
Le mirage du financement privé des universités
Les financements privés de l'enseignement supérieur et de la recherche ne doivent pas être négligés, ils peuvent contribuer utilement dans quelques domaines. Mais ils n'aideront que marginalement à résoudre le sous-financement chronique des universités, estime Jean-Marc Schlenker, mathématicien, professeur à l'université Toulouse III.

La France souffre d'un net sous-investissement dans l'enseignement supérieur, et surtout dans les universités. En 2006, la dépense moyenne par étudiant dans l'enseignement supérieur était inférieure à 9.000 euros, beaucoup moins que ce qu'elle est chez la plupart de nos partenaires (nettement plus du double en Suisse ou aux Etats-Unis). Cette moyenne recouvre des réalités très variées: la dépense annuelle par étudiant est élevée dans les classes préparatoires (13.940 euros) mais plus faible dans les universités (7.840 euros) que dans les lycées (10.320 euros).

L'enseignement supérieur a d'ailleurs été mis en avant par la commission Attali comme le seul domaine où les dépenses publiques doivent nettement augmenter. Parallèlement, la réforme en cours de la recherche académique sera difficile sans une augmentation au moins temporaire de ses moyens. Par comparaison avec d'autres pays, par exemple les Etats-Unis, ce sont les financements privés qui manquent cruellement aux universités françaises. Les caisses de l'Etat sont vides - ou d'autres dépenses sont prioritaires - et l'appel à la contribution des étudiants, sous la forme de frais d'inscription nettement augmentés, semble exclu au moins à court terme pour des raisons politiques.

Une solution simple a déjà été prévue dans la loi: créer des fondations pour faire largement appel aux dons privés, en particulier ceux des entreprises. Cette idée séduisante risque malheureusement de trouver rapidement ses limites. Elle s'appuie sur des exemples étrangers mal analysés et sur la généralisation abusive de situations spécifiques.

Dans une vision économique classique, les entreprises n'ont pas vocation à participer sans contrepartie au financement de l'enseignement supérieur. Pour reprendre l'exemple des Etats-Unis, ce sont moins les entreprises que les particuliers qui donnent généreusement aux universités; le nouveau bâtiment du département d'informatique de l'université de Stanford a été offert par Bill Gates, et non par

Microsoft.

D'après la National Science Foundation, en 2003, les entreprises finançaient 17% de la recherche fondamentale aux Etats-Unis, mais seulement 5% de celle conduite dans les universités (qui représente pourtant l'essentiel du total), et, plus étonnant peut-être, seulement 6% de la recherche appliquée universitaire.

Il existe bien sûr des cas où des entreprises peuvent trouver intérêt à investir fortement soit dans la recherche académique, soit directement dans des formations. De larges pans de la recherche appliquée peuvent ainsi faire l'objet de contrats avec des entreprises intéressées par les résultats, même si un poids trop important de ces financements peut parfois nuire à l'indépendance et à la crédibilité de la recherche.

Dans quelques cas isolés, un groupe d'entreprises peut aussi souhaiter participer à travers des fondations ou des chaires au financement de formations spécialisées qui les aideront dans leurs recrutements futurs, par exemple dans le domaine de la finance. Mais ces cas restent marginaux au regard de l'ensemble de l'enseignement supérieur.

Si on reprend l'exemple des Etats-Unis, il faut rappeler que ce sont essentiellement les particuliers qui contribuent par leurs dons au financement des universités. L'extension de ce modèle à la France se heurte à de sérieuses difficultés, relevant peut-être de la pression fiscale et plus profondément de différences culturelles qui rendent plus difficile le mécénat sous toutes ses formes.

Il existerait un moyen de développer largement le mécénat des entreprises ou des particuliers: lui associer des déductions fiscales proches de 100% des dons consentis, ce qui reviendrait à laisser les contribuables fortunés ou les sociétés attribuer d'importantes sommes d'argent public.

On pourrait craindre d'encourager par là non pas la rénovation nécessaire du paysage français de recherche et d'enseignement supérieur, mais, au contraire, le renforcement des établissements existants en fonction du pouvoir de leurs anciens élèves, sans rapport avec la qualité ou la reconnaissance internationale de leurs formations et de leurs équipes de recherche.

Les financements privés de l'enseignement supérieur et de la recherche académique ne doivent pas être négligés, ils peuvent contribuer utilement dans quelques domaines proches d'entreprises contributrices. Mais ils n'aideront que marginalement à résoudre le sous-financement chronique des universités. Toute solution durable devra conjuguer une plus grande contribution de l'Etat et une rationalisation du système, en particulier par le rapprochement des organismes de recherche et de l'enseignement supérieur.


Jean-Marc Schlenker, mathématicien, professeur à l'université Toulouse III

Publié dans Nouvelles récentes

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